mercredi 8 mai 2013

De l'amour des livres contrarié (pamphlet).


Une bibliothèque qui en impose ...


Ne vous êtes-vous jamais posé les questions suivantes : Pourquoi tout le monde sait quelle équipe de football a gagné la dernière coupe d'Europe ? Pourquoi tout le monde est au courant du moindre détail des frasques érotico-politiques de l'avant-dernier président du FMI ? Pourquoi lorsque la petite fille d'un célèbre groupe hôtelier sable à la hache des magnum de champagne à 50.000 dollars l'unité sur un yacht à St-Tropez même votre jardinier est au courant ? Pourquoi tout le monde sait que placer de l'argent sur un compte en Suisse c'est mal ? Bref, en un mot, qu'est-ce qui fait courir le monde ? Qu'est-ce qui fait courir l'information au fin fond des chaumières ?

Car demandez autour de vous la date de l'édition originale des Fleurs du Mal de Baudelaire, ou la date de première impression française de Mein Kampf de celui qu'on ne nomme pas pour ne pas avoir d'ennuis avec la censure, et vous serez surpris du résultat !

Il faut dire que depuis la nuit des temps (peut-être pas si loin en fait ...), bibliophilie et populisme ne font pas bon ménage. Parce que c'est bien de populisme culturel qu'il nous faut parler. Comment qualifier autrement les informations flash et trash dont on nous abreuve à longueur de journées ?

Petit exemple pratique. Voici la liste des gros titres de Google actualités de ce jour, mercredi 8 mai 2013, dans leur ordre d'apparition (Google actualités France) :

- Trois morts dans un accident dans le port de Gênes
- Vague d'arrestations après le vol de diamants à l'aéroport de Bruxelles
- Commémorations du 8 mai : Hollande envoie un message d'apaisement à l'Allemagne
- 2 milliards d'euros: c'est ce que coûtent les jours fériés
- Cleveland : les premiers détails de la vie des séquestrées
- Manchester United: Qui pour remplacer Alex Ferguson ?
- Un surfeur tué par un requin à la Réunion
- L'auteur du massacre d'Aurora plaidera non coupable pour démence
- Syrie: Israël ne compte pas intervenir (ministre).

Je m'arrête là car cela devient vite fastidieux et vomitatoire. J'ai envie de dire "à part ça tout va bien !".

Les plus lucides d'entres nous me répondront : il n'y a là que ce que les gens veulent lire, veulent entendre ou veulent voir. Certes. Peut-être. Pourquoi pas. Encore que. Ne serait-ce pas le contraire ? Ne donne-t-on pas à voir, à lire et à entendre ce que l'on veut que nous voyions, que nous lisions et que nous entendions ? Mais alors, qui tire les ficelles ? Qui serait à la tête de ce Big Brother international de l'information ? Quel pouvoir suffisamment énorme permettrait d'arriver à ces fins ? En clair, à qui profite le crime ?
Personnellement, je ne vois qu'une seule réponse possible : Money ! L'argent ! Seul l'argent peut justifier ces luttes de pouvoir à coup de marketing dispendieux pour asseoir une autorité globale suffisamment forte pour écraser tout le reste.

On est loin de la bibliophilie me direz-vous ! Sans doute. On est toujours loin lorsqu'on n'arrive pas à s'approcher des choses assez près pour les sentir.

Mais voici la bibliophilie qui arrive (ou plus exactement l'amour des livres). Je ne distingue pas ici le plaisir de la lecture, la soif d'apprendre au travers des livres et l'acte de bibliophilie à proprement parler "à l'ancienne" qui sous-entendrait une forme d'amour élitiste réservé à certains en raison de la taille proportionnelle de leur portefeuille. Je ne veux parler ici que d'amour des livres, de passion bouquinière, de soif d'apprendre par le texte et de plaisir des yeux par l'image et le support de l'écriture. Rien autre.

L'amour des livres donc. Sa représentativité dans notre société donc. Deux choses bien éloignées des premières pages de Google actualités. Et pourtant ! en grattant un peu, on trouve vite tout ce que l'on veut dans ce domaine grâce à ... Google justement ! Ce ne serait donc pas un problème d'éludement mais un problème de priorité. En clair, l'amour des livres ne passionne pas les foules ! C'est exact, on s'en rend compte tous les jours, par métier et par passion.

Si les matchs de football d'aujourd'hui sont les arènes et les spectacles des gladiateurs d'hier, alors le peuple a des jeux pour se divertir. Ne lui manque peut-être parfois que le pain pour manger, mais cela devient vite accessoire. Le divertissement fait oublier la faim. Et la faim justifie souvent les moyens. Bref, on serait, si l'on s'en tient à ce comparatif sillogistique aux abords d'une fin de civilisation. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Peu importe, Dieu-Money veille !

Le problème du manque de notoriété de la bibliophilie vient de son déficit d'image, et cela ne date pas d'hier ! Il y aurait plus d'une chose à revoir pour changer cet état de fait qui nuit gravement à la culture ! Evidemment tout le monde ne souhaite pas savoir la date de l'édition originale des Fleurs du Mal, ni même savoir de quoi parle Des souris et des hommes de Steinbeck, et pourtant ! Je reste persuadé que bien des personnes s'intéresseraient à ces choses de plus près si plusieurs éléments déclencheurs venaient à leur être communiqués. Je vais essayer de donner quelques pistes tout à fait personnelles (d'ailleurs, ici, tout est très personnel).

Tout d'abord ne rien interdire à personne. Je veux dire autoriser les accès aux savoirs. C'est à dire ne pas mettre des bâtons dans les roues à ceux qui auraient la curiosité, mais qui, mal nés, ou mal amenés dans le monde, n'ont pas accès ne serait-ce qu'à l'idée qu'ils peuvent savoir des choses que d'autres savent déjà. C'est plus une barrière psychologique qu'il faut abattre qu'autre chose, un mur de Berlin de la Nomenklatura es connaissances. Evidemment, vous me direz, tout le monde ne part pas au départ sur la même ligne. Darwin serait là pour nous rappeler combien la sélection naturelle est importante. Certes. Mais tout de même. Je ne peux pas m'empêcher de penser quand je discute avec un maçon ou un charpentier un peu curieux des choses, qu'il aurait fait, dans d'autres circonstances, poussés par d'autres inspirations, un excellent bibliographe (notez bien qu'il y a des bibliographes qui feraient sans aucun doute d'excellents maçons ... j'en connais !). L'accès au savoir, à l'envie de savoir, à la curiosité est à mon sens le plus important des facteurs de régression culturelle ambiante. Paradoxalement, à l'heure d'internet et de la communication à tout va, l'information n'a jamais été aussi redondante, prédigérée et orientée pour faire du peuple le bon mouton de la ferme d'Orwell.
La confiscation des savoirs. Autre raison majeure de l'incurie généralisée qui se propage. On partage tout aujourd'hui ! Oui, sans doute, mais pas avec tout le monde ! Je vais éviter de revenir sur l'idée de Messieurs les Ronds de cuir et la notion de pré carré ... ça m'exaspère ! Mais l'idée est là et tout le monde la comprend. On ne mélange pas les torchons avec les soviets ! Si vous n'avez pas le cursus universitaire (ou social - ce dernier se substituant parfaitement au précédent à partir d'un certain niveau de compétence fiscale) bien comme il faut on vous fait vite sentir que vous n'avez pas accès à ce que d'autres ont naturellement, presque comme un droit d'aînesse, en libre service : Nomenklatura encore ! Parmi les réseaux (je déteste ce mot) qui grouillent sur la planète, vous n'en n'êtes pas. Faites-vous une raison. On vous y laisse mettre le doigt ; aussitôt on vous fait sentir que la frontière est franchie. Avez-vous un maître ? Avez-vous une référence ? Avez-vous un père spirituel labellisé ? Bref. Le ni Dieu ni Maître n'a pas sa place à la table des grands de l’establishment intellectuel que vous essayez de forcer.
En clair, l'auto-censure et la confiscation des savoirs nuisent gravement à l'épanouissement de l'amour des livres. Je passerai sur les considérations vaguement vénales tels que le confort plus ou moins effectif des fauteuils de tels ou tels libraires sur salon ou en librairie. Je passerai aussi sur l'accueil frigide en librairie réservé à la jeune clientèle encore peu effarouchée et par l'auto-censure (la jeunesse est effrontée) et par la confiscation du savoir (la jeunesse est anarchiste). Je passerai encore sur les mic-mac ou tours de passe-passe qui permettent de comprendre que le milieu de la librairie (ancienne) finalement n'échappe pas au milieu tout court par bien des aspects. Mais il paraît que tout cela ne doit pas être remué car sinon gare aux odeurs. Tout ceci sent parfois assez mauvais, même vu d'assez loin. C'est dire si de près cela doit en avoir toutes les caractéristiques.
Voyez que finalement la bibliophilie ou plus exactement "L'amour des livres" s'insère assez bien et se fond même parfaitement bien dans la société civile.
En conclusion provisoire, que dire ? Que ce ramassis de gros traits, n'en déplaise à l'élite, à la Nomenklature sus-citée, à l’Intelligentsia environnante qui surveille, ne doit pas rebuter l'amoureux des livres, bien au contraire. L'amoureux des livres, des textes, du papier, des reliures, de l'art de faire du beau avec des mots, ne doit céder qu'à sa curiosité, son envie et sa passion pour le savoir. Rien ne s'achète en ce domaine, aucune porte ne se ferme devant l'enthousiasme forcené et aucune censure n'existe pour nuire à l'envie.
C'est donc sur un constat optimiste qu'il faut refermer ce billet et dire le célèbre slogan de 68 : "Mort aux ... !"

Au début je me suis demandé si j'allais oser publier ce petit pamphlet un peu rude, et puis l'évidence vient d'elle-même : pourquoi garder pour soi ce qu'on a pensé dire aux autres ? Alors je partage !

PS : Pour tout vous dire, ce genre de petit billet me sert de pense-bête, alors plutôt que de la garder pour moi sous Word, je vous en fais profiter. J'en ai d'autres sous le coude ...

Bonne soirée
B.

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