mercredi 13 janvier 2010

Les Annales de la cour et de Paris pour les années 1697 et 1698 par Gatien Courtilz de Sandras (1701). Un ouvrage qui valut neuf années de prison ?




Note préliminaire : j'ai écris ce billet assez rapidement, c'est assez long toutefois. J'ai pensé ensuite que je ne publierais pas ce billet, à mon goût trop "éparpillé", et puis je me suis finalement dis que ce serait dommage de ne pas vous en faire part, aussi imparfait soit-il. Alors je vous laisse juge et critique, vous êtes avertis, et un lecteur averti en vaut deux !

Voici un ouvrage dont j’avais envie de vous parler depuis déjà quelque temps. Le moment est venu.

Ces Annales de la cour et de Paris pour les années 1697 et 1698, ont été publié en deux tomes, sous le voile de l’anonymat à l’enseigne de Cologne, chez Pierre Marteau, à la date de 1701. L’exemplaire que je tiens entre mes mains est relié en un seul fort volume. Le premier tome, dont le titre à la sphère est imprimé en rouge et noir (voir photo), compte 232 pages chiffrées y compris le titre et un très court avis du libraire au lecteur qui indique simplement et laconiquement : « On continuera de donner cet ouvrage, parce qu’on est persuadé qu’il sera agréable au public. » Le deuxième tome s’ouvre sur une page de titre identique à la première à la seule différence qu’elle est imprimée en noir (voir photo). Cette nouvelle page de titre n’est pas comprise dans la pagination qui se poursuit au feuillet suivant par la page 233 jusqu’à 689 et dernière du texte. On trouve au verso de ce dernier paginé une ample Table des principales matières contenues dans les deux tomes de ces annales.



Ce volume est imprimé sur un papier vergé d’assez bonne qualité. Curieusement, après avoir vérifié tous les feuillets à la lumière, aucun filigrane n’apparait. Concernant le lieu d’impression, il parait probable que ce livre sort des presses hollandaise (on distingue une réclame au bas de chaque feuillet). On notera, en tout et pour tout ornement, deux bandeaux et deux lettrines pour le premier tome et un bandeau et une lettrine pour le second (voir photo). Encore dans sa reliure en basane de l’époque, le volume a été quelque peu manipulé au cours des trois derniers siècles. La pièce de titre a disparu du dos qui est très orné aux petits fers dorés d’un style assez original. Quelques réparations maladroites aux coiffes ont été opérées sans doute au cours du dernier siècle. Ce volume ne contient aucune annotation manuscrite sauf une signature ex libris ancienne sur le premier titre. Tentons de lui donner ce supplément d’âme nécessaire et agréable en essayant de retracer l’histoire de ce livre peu commun.

Ce livre est un des nombreux sortis de la féconde plume de Gatien Courtilz de Sandras. Je ne vais pas faire ici une biographie détaillée de ce personnage emblématique du règne de Louis XIV. Pour résumer. Gatien Courtilz de Sandras est né à Montargis en 1644. On ne sait visiblement pas grand-chose de sa jeunesse sinon qu’il s’engagea rapidement dans l’armée et plus particulièrement les Mousquetaires du régiment de Champagne. Il y resta 18 années et finit Capitaine de ce régiment. On lit que c’est la paix de Nimègue (1678) qui lui procura le loisir de l’écriture. Dès lors, il consacra toute son énergie à produire des romans historiques pour les libraires de Hollande et surtout pour assurer sa propre subsistance. Lorsque parait la première édition pirate de l’Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin (1665), Courtilz de Sandras n’a que 21 ans. A la paix de Nimègue, en 1678, tandis que Bussy-Rabutin est exilé sur ses terres de Bourgogne depuis déjà plus de 10 ans, Courtilz de Sandras va commencer une carrière d’écrivain à scandale, il alors 34 ans.

On peut lire qu’il fit imprimer ses ouvrages romans historiques en Hollande où il s’installa. Il dut cependant s’enfuir de Hollande après avoir donné une Histoire de la guerre de Hollande(1689), trop favorable à la France. Il regagne alors Paris. Il retourne en Hollande dès 1694 où il rédige les Mémoires de M. de d’Artagnan (1700) devenus célèbres dans la littérature depuis qu’Alexandre Dumas en a fait un chef d’œuvre au XIXe siècle, les Mémoires du marquis de Montbrun (1701). Il revient à Paris en 1702 où il fut emprisonné, vraisemblablement à cause des imputations graves sur plusieurs personnages de considération que renfermaient ses Annales de Paris et de la cour pour les années 1697 et 1698 (1701). Son incarcération à la Bastille dura depuis 1702 jusqu’à peu de temps avant sa mort survenue en 1712. Il y sera resté 9 années consécutives ! Il mourut le 8 mai 1712 à Paris, âgé de 68 ans. C’est ce livre maudit, en apparence bien anodin, qui aurait valu à notre auteur ces neuf années de prison. Nous avons en main l’objet du délit ! Rentré en France sans doute caché sous une charrette de foin ou dans le carrosse d’un riche notable curieux des choses sulfureuses imprimées.

« Les ouvrages de cet auteur sont fort dangereux à cause du mélange de vrai et de faux qu'ils contiennent. » lit-on ailleurs. C’est bien ce qui lui a valu ses ennuis. À plusieurs reprises d'ailleurs, Courtilz a écrit à la première personne les mémoires des autres, celles du marquis de Montbrun ou de M. de Rochefort. Il a écrit les vies de Colbert et de bien d’autres en y laissant sa patte. Tous ses livres sont rédigés sans chapitres ce qui ne facilite pas une lecture posée (ou pausée). Son style a toujours été fort critiqué. Ce n’est que depuis quelque temps que les écrits de Gatien Courtilz de Sandras reviennent sur le devant de la scène grâce à quelques études soignées sur le personnage et son œuvre abondante (plus de 40 romans historiques et pamphlets en moins de 30 ans de carrière littéraire).

Le site Livresinterdits.org a longuement étudié « sur l’exemplaire » cet ouvrage. Je vous laisse visiter ce site très bien documenté et très utile.

Pour en savoir plus sur Gatien Courtilz de Sandras je vous invite à lire l’ouvrage de Jean Lombard, Courtilz de Sandras et La Crise Du Roman a La Fin Du Grand Siècle (Puf, 1980). "Le principal intérêt des Annales réside dans le document moral et social qu'elles constituent." (Lombard, p. 234)

Un exemplaire de cet ouvrage est (était ?) proposé à la vente par la librairie Coulet à Paris (1.000 euros), dans une reliure de l’époque légèrement usagée. Nous n’avons pas trouvé d’autres exemplaires disponibles sur le marché (internet), actuellement (janvier 2010).

De nombreux ouvrages « galants » sur la cour de Louis XIV ont été aussi attribués en même temps à Bussy-Rabutin, qui, fort de son succès malgré lui de l’Histoire amoureuse des Gaules (1665), se verra donner la paternité de nombreux de ces petits ouvrages et pamphlets de l’histoire amoureuse du siècle du roi soleil.

Les Annales de Courtilz ne figure pas dans l’ouvrage de référence d’Anne Sauvy, Livres saisis à Paris entre 1678 et 1701 (Martinus Nijhoff, La Haye, 1972) peut-être la date de 1701 (limite de l’étude du livre) ne permet pas de savoir tout ce qu’il aurait été intéressant de savoir sur cet ouvrage très certainement condamné et saisi. On imagine mal que ce livre qui a valu 9 ans de prison à son auteur soit resté « autorisé ». Je n’ai pas encore fait toutes les investigations nécessaires à ce sujet, je dois l’avouer. Si je trouve des informations complémentaires je les ajouterai au fur et à mesure.

J’avoue me perdre un peu dans les conjectures des uns et des autres à propos de cet ouvrage. Pour certains c’est cet ouvrage qui valut neuf années de Bastille à Courtilz. Pour d’autres, cet ouvrage fut en partie rédigé à la Bastille même où Courtilz avait été emprisonné pour d’autres causes. Pour d’autres encore il fut commencé en Hollande. Quoi qu’il en soit, Courtilz méritait bien ce billet, aussi incomplet et superficiel soit-il. Voici un homme qui a passé plusieurs années de sa vie en prison après avoir servi son roi de la meilleure façon, pour seulement avoir osé écrire quelques bluettes un peu noircies ou enjolivées sur les personnalités en vue de la cour d’un roi tout puissant. Quelle belle manière de remercier ses troupes !

Pièces très intéressantes à joindre à ce dossier, les Archives de la Bastille: 1693-1702 Par Louis Jean Félix Ravaisson-Mollien,Archives de la Bastille. Voici reproduit ci-dessous les passages intéressants notre personnage.










Voici également quelques fiches concernant cet ouvrage :



Bibliothèque Francisque Michel.



Bibliothèque Leber.


Bibliothèque Viollet-le-Duc.



Bibliographie de Paris par Dufour.



Catalogue de la bibliothèque de Rouen.



G. Brunet, imprimeurs supposés.


Question de pure curiosité de bibliophile : Avez-vous déjà croisé le chemin de cet ouvrage dans cette édition de 1701 ? Dans une autre édition postérieure (1706) ? Pour ma part, c’est la première fois que je le croise. Il dort désormais sur mon rayon « Courtilz de Sandras » bien tranquillement à côté de son homologue (il n’aurait pas aimé que j’écrive cela…) Roger de Rabutin comte de Bussy (dont le magnifique château doit être bien beau aujourd’hui encore sous la neige).

Voici une liste des Œuvres sorties de la plume de Courtilz et quelques éléments sur sa vie :

1678. Privilège du 13 janvier pour « quatre nouvelles galantes », chez Quinet. Nouvelles amoureuses et galantes.
1679. Nouveau Recueil de Lettres et billets galants, Paris, Quinet.
1680. Amours des dames illustres de nostre siècle, Cologne, chez Jean Le Blanc. Les Intrigues amoureuses de la cour de France, Cologne [i.e. Den Haag], chez Pierre Bernard. Réédité sous le titre « La France devenue italienne » dans le recueil intitulé : Histoire amoureuse des Gaules et dans celui intitulé : La France galante. Parution du Recueil des histoires galantes, à Cologne, chez Jean Le Blanc. Contient : « Histoire amoureuse de France », œuvre anonyme de Roger de Rabutin, comte de Bussy, d'abord publiée sous le titre : « Histoire amoureuse des Gaules » ; « Recueil de quelques pièces curieuses servant
à l'esclaircissement de l'histoire de la vie de la reyne Christine » ; « Histoire du palais royal »,
attribuée à Roger de Rabutin, comte de Bussy ou à Gatien Courtilz de Sandras ; « L’Histoire de l'amour feinte du Roy pour Madame », attribuée à Roger de Rabutin, comte de Bussy ; chacune de ces œuvres ayant déjà été publiée isolément.
1684. Histoire des promesses illusoires depuis la Paix des Pyrénées.
1684. Les Conquestes amoureuses du grand Alcandre dans les Pays-Bas, avec les intrigues de sa cour, Cologne, chez Pierre Bernard.
1686. Fonde Le Mercure historique et politique à La Haye. Publie Les torts causés à la France par la Révocation de l’Édit de Nantes, Cologne, Marteau.
1687. Mémoires.
1688. La France galante, ou Histoires amoureuses de la cour de Louis XIV, par Roger de Rabutin, comte de Bussy ; Gatien de Courtilz de Sandras et autres, Cologne, P. Marteau, s. d. Titre alternatif : Histoires amoureuses de la cour de Louis XIV.
1689. Nouveaux intérêts des princes de l'Europe, revus, corrigés et augmentés par l'auteur, selon l'état où les affaires se trouvent aujourd'hui, Cologne, P. Marteau. Histoire de la guerre de Hollande de 1672 à 1677. Étend son domaine du Verger, près de Montargis.
1693. Mis à la Bastille. Il y restera jusqu’en 1699.
1694. Rédige Les apparences trompeuses ou Histoire des Amours du duc de Nemours et de la Marquise de Poyanne.
1695. L'Alcoran de Louis XIV, ou Le testement [sic] politique du cardinal Jules Mazarin, traduit de l'italien (attribué à Courtilz).
1696. Le Grand Alcandre frustré, ou Les derniers efforts de l'amour et de la vertu : histoire galante, Cologne, Pierre Marteau, 1696. Attribué à Gatien de Sandras de Courtilz.
1700. Mémoires de Monsieur d’Artagnan, Cologne, P. Marteau.
1701. Mémoires du Marquis de Montbrun ; Mémoires de Madame la Marquise de Fresne ;
Annales de la Cour et de Paris, pour les années 1697 & 1698, Cologne, P. Marteau. Fausse
adresse ; imprimé aux Pays-Bas d'après le matériel typographique.
1715. Les Amours…[publication posthume].
1716. Avantures de la comtesse de Strasbourg et de sa fille, La Haye, chez Chr. Van Lom,
P. Gosse & R. Alberts. Fausse adresse ; imprimé en France d'après le matériel typographique [publication posthume].
1758. Mémoires de M de B (ordeaux) [publication posthume].

Ces informations sont issues du document suivant :
http://contextes.revues.org/index117.html?file=1

Je ne pouvais terminer ce billet sans citer un passage de cet ouvrage :

« D’abord que ce livre sortit de dessous la presse, les donneurs d’encens publièrent que c’était la plus belle chose du monde. Si on leur eût demandé cependant ce qu’ils trouvaient pour le tant vanter, ils eussent été bien empêchés de le dire, aussi ceux qui faisaient profession d’être sincères en parlèrent bientôt tout autremen. Au lieu de dire que c’était une si belle chose, ils dirent au contraire qu’il n’y avait rien de si pitoyable. Cela ne fit pourtant point de plaisir à cet Abbé(*) qui se pique de bien écrire ; mais tous ceux qui passent pour être de bon goût, se trouvant de même sentiment, son Livre fut condamné tout d’une voix à être livré aux Beuriers & aux Epiciers pour envelopper du poivre et du beurre. (…) » (extrait de la page 13-14).

(*) c’est de l’Abbé de Choisi qu’il était question ici.

Il nous manque quelques Courtilz de Sandras dans notre bonne vieille République des Lettres afin que les bons esprits ne s’assoupissent à glorifier les petits. Amélie N., si tu nous lis…

Bonne journée,
Bertrand

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