mercredi 13 mai 2009

De la mauvaise réparation des vieux livres...



Une reliure du XVe siècle. A qui confier le travail de restauration ? Doit-on restaurer ces pièces de musée ? Ne doit-on pas se contenter de les conserver telles qu'elles nous parviennent ?
Autant de question que le bibliophile sérieux devra se poser.



Quelques considérations intéressantes sur les viles réparations de livres...


"Quand on voit sur table, dans les ventes publiques, un livre rare grossièrement cousu, ignoblement embasané et surtout fort mal rogné, je veux dire beaucoup trop ou tout de travers, il est permis d'affirmer qu'il a passé, à une certaine époque, entre les mains d'un pa- petier-cartonnier de province, ou encore d'un de nos relieurs parisiens de dernier ordre, qui s'est avisé d'affubler un monument typographique contemporain de Louis XII de manière à lui ôter les dix-neuf vingtièmes de son prix. Je ne connais pas de vandales d'une espèce pire, plus commune et plus irresponsable, que les gâcheurs de livres en question. Mais on concevra bientôt comment ils sont poussés, en dépit quelquefois d'un bon goût naturel, à se livrer à de pareils ravages. On leur offre, après une discussion en règle, 75 centimes, plus ou moins, pour un travail qui, traité avec soin, devrait être payé, on en sera convaincu en lisant ce chapitre, huit à dix fois davantage. Aussi la punition obligée, inévitable, infligée à cette lésinerie, est-elle la dépréciation presque totale du livre à eux confié par un bibliophile bonhomme, qui, de gaieté de cœur, a condamné son vieil ami à une reliure de 73 centimes tout compris. Le papetier-relieur de province, avec ses immondes cartonnages déjetés, recroquevillés, grimaçants sous une basane encore barbue et mouchetée de pâlés d'encre, forme le digne pendant du petit vitrier barbouilleur en dorures à qui un iconophile encore novice a confié naïvement la réparation d'un rare Albert Durer, et tous deux marchent de pair avec l'architecte mutilateur qu'une aveugle décision attache aux flancs d'une majestueuse cathédrale. .Cette trinité redoutable, ennemie née des vieux souvenirs gravés sur pierre ou sur papier, en a gâché ou détruit, sans y mettre aucune malice, au moins les trois quarts. Puissent ces conseils tardifs sauver encore quelques débris! Le plus irrémédiable des attentats que puisse commettre le relieur de petite ville, c'est la rognure des marges. Un simple projet d'économie d'un centime sur la dimension de son carton lui donne l'idée de mutiler un charmant in-4° gothique jusqu'à la limite du cadre d'impression. Encore doit-on crier trois fois Noël ! quand l'extrémité des lignes n'a pas été rasée sur quelques points. Ceux qui ont appris quelque part, ou deviné par instinct, qu'une marge est bonne à quelque chose, consentent à la conserver, mais la taillent avec une inégalité si choquante que la victime ne fait que tomber de Charybde en Scylla. Le plus grand mérite d'un livre rare est, sans contredit, une marge non rognée, ou, tout au moins, peu et très régulièrement rognée en tous sens. Mais, pour obtenir une heureuse régularité, il ne suffit pas de couper en masse les tranches à l'équerre ; on peut, avec ce zèle pour la symétrie , enlever même jusqu'à des portions du texte. On conçoit, en effet, que le point essentiel, c'est de refaire, avant d'égaliser la tranche, le pliage de chaque feuillet ; travail long, minutieux, qui ne doit pas se payer par centimes, mais par francs."

in Essai sur l'art de restaurer les estampes et les livres,
par Alfred Bonnardot. Paris, Castel, 1858, p. 228.

Bonne soirée,
Bertrand

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