lundi 9 mars 2009

Guy Patin (1601-1672), médecin conformiste et grand amateur de livres.



Guy Patin (1601-1672) a cela de commun avec la marquise de Sévigné (1626-1696), outre l’époque où ils vécurent tous deux, qu’il écrivit de très nombreuses lettres, d’une manière fort libre et sans le souci de se voir publier un jour. En effet, c’est seulement vingt ans après sa mort, qu’on publia (mal) ses Lettres choisies qui couvrent la période de 1645 à 1672 (Cologne, 1692, 3 vol. in-12 – la meilleure édition ancienne étant celle de 1725 en 5 volumes in-12).

Il est amusant de noter que, issu d’une famille dépourvue de ressources suffisantes, brouillé dans le même temps avec elle pour avoir refusé la voie ecclésiastique qu’on lui destinait, lancé dans des études de médecine, visiblement sans le sou, il se fit à cette époque correcteur d’imprimerie.

« Gui Patin, dit Vigneul-Marville, était satirique depuis la tête jusqu’aux pieds… Son chapeau, son collet, son manteau, son pourpoint, ses chausses, ses bottines, tout cela faisait nargue à la mode et le procès a la vanité. Il avait dans le visage l’air de Cicéron, et dans l’esprit le caractère de Rabelais. »

Ce portrait se traduit d’ailleurs fort bien dans le burin d’époque dû au talent d’Antoine Masson que nous publions ci-dessous.


Autre point commun avec la marquise de Sévigné, le ton de ses lettres qui ont « le laisser-aller d’une conversation et l’agrément d’une confidence. » Ce qui en fait, au final, quelque chose de très passionnant à lire.

Voici ce que M. Gustave Vapereau rapportait à son sujet dans son Dictionnaire universel des littératures, P., Hachette, 1876, p. 1554 :

« Guy Patin fut surtout un épistolier prolixe et parfois redoutable. Dans sa correspondance suivie avec les principaux savants de l’Europe, les nouvelles du jour, les détails curieux sur la littérature et les hommes illustres du temps, les bons mots abondent, avec des hardiesses de toutes sortes, une malveillance visible, beaucoup de passion, de la crudité et quelquefois de la grossièreté. Son style plaisant, léger et humoristique fait de lui un philosophe libertin. »

Comme médecin, c’était un empirique, adepte de la saignée et résolument opposé aux modernes de sa science, ce qui n’est pas sans provoquer quelques rires à la lecture de certaines de ses lettres qui fustigent "l'antimoine" et les "charlatans" de son temps.

Lire les Lettres de Guy Patin, c’est prendre un vrai grand plaisir de lecteur. Sa verve sarcastique plaisait aux grands seigneurs, qui, dit-on, allaient jusqu’à mettre un louis d’or sous son assiette, lorsqu’ils le recevaient à dîner et pour le dédommager de leur avoir donné autant bons mots.

Certains l’ont reconnu moqué dans certaines pièces de Molière où les médecins sont tournés en ridicule. Sans doute.

Mais ce qu’il a pour moi de plus remarquable dans sa correspondance, et c’est ce qui nous intéressera ici, c’est que pratiquement où que vous ouvriez les volumes de ses Lettres, vous tomberez sur un propos, un bon mot, une dissertation argumentée ou simplement une réflexion sur les livres et les éditeurs de son temps.

Patin n’était sans doute pas à proprement parler ce qu’on pourrait appeler aujourd'hui un bibliophile. Il n’est d’ailleurs pas fait mention de reliures exceptionnelles sorties de sa bibliothèque, ou de textes d’une extrême rareté. Mais Patin s’intéressait à l’histoire de son temps, et était un acheteur de livres et un curieux insatiable, à l’affût de la dernière édition de tel ou tel auteur. Il recherchait aussi les éditions plus anciennes, comme en témoigne certains passages de ses lettres.

J’ai relevé pour vous quelques passages significatifs de cette intérêt pour le monde du livre et de l’édition, en espérant vous donner l’envie de reliure ces Lettres dans leur intégralité (1) :

« En attendant des nouvelles qui soient bonnes & agréables, & qui soient fondées sur le soulagement public de toute la France, je ne laisse pas de vous écrire. On s’en va vendre la grande bibliothèque de Monsieur Fouquet, les affiches en sont publiques par les rues. La mauvaise fortune de cet homme me déplait. Si je voyais céans de ses livres cela me ferait mal au cœur. Il en a pourtant de très beaux, dont je ferais peut-être mieux mon profit que personne. J’ai d’ailleurs si peu de loisir d’étudier, que je m’en console plus aisément. » (éd. 1715, lettre CCCCVIII, 4 juin 1666)

« Je vis hier chez M. Cramoisi deux tomes in folio d’un médecin espagnol, nommé de Heredia, imprimés chez MM. Arnaud & Bordes, mais dans ce peu de temps qu’ils furent entre mes mains, j’y vis tant de fautes de la part de l’imprimeur, que j’en fus bientôt dégoûté, cela pourtant n’empêche point que je n’en désire un exemplaire, il y a là-dedans un traité qui me le fait désirer, malgré les fautes typographiques, c’est un commentaire sur les Histoires Epidémiques d’Hippocrate : Je vous en ferai rendre le prix par le commis de M. Troisdames, qui, Dieu merci, est en bonne santé. » (éd. 1715, lettre CCCCXI, 16 juillet 1666)

Je donne ci-dessous la lettre du 24 novembre 1666 qui traite entièrement de la découverte et de l’édition du Scaligeriana. On y retrouve tout Patin.


En 2001, Laure Jestaz a consacré une thèse à Guy Patin et aux divers aspects du personnage. Toute une partie est consacrée au rôle qu’il pu jouer auprès des libraires parisiens. Je n’ai pu malheureusement me procurer cette thèse de l’école des chartes (je ne sais d’ailleurs pas si elle a été publiée ou si elle dort encore au fond d’une armoire universitaire... si Laure Jestaz nous lit ou si quelqu'un la connait… je suis intéressé par une copie de cette thèse…)

Et pour finir, citons l’auteur qui s’exprimait ainsi sur la bibliomanie :

« La bibliomanie, comme disait feu M. Patin [Guy Patin], a été une des maladies de ce siècle ; chacun, par un luxe curieux, a voulu avoir des livres, et former de grands corps de bibliothèques. » Vigneul-marville, Mél. d'hist. et de litt. p. 46.

A sa mort, la bibliothèque de Guy Patin comptait environ 15.000 volumes, presque tous dans le genre classique et empirique, aucun place n’était semble-t-il laissée à la littérature ni au roman. Ces derniers étant jugés d’un genre méprisable. Petite ou énorme différence cette fois avec Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, qui se piquait de lire la Clélie et autre roman fleuve à la mode.

A titre d'anecdote je n'ai trouvé aucune entrée à "Patin" dans la table analytique de l'édition des Grands écrivains de la France des Lettres de Madame de Sévigné publiée chez Hachette en 1862-1876, 16 volumes in-8. Leurs deux mondes ne se sont peut-être jamais croisés ?? Qui sait ?

Je ne pense pas qu'il existe un autre genre plus propice à connaître en son entier le fond de l'âme humaine que celui de la correspondance simple et naturelle entre deux personnes.

(1) La meilleure édition, plus complète et plus correcte des Lettres de Guy Patin, est celle donnée par Reveillé-Parise (Paris, Baillière,1846). Cette édition n’est pas facile à trouver.

Bonne semaine,
Bertrand

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