lundi 24 novembre 2008

Les auteurs déguisés par Adrien Baillet (1690)


Chers amis bibliofols,

Qui veut aujourd’hui savoir l’auteur d’un ouvrage ancien publié sous le voile de l’anonyme, doit recourir à la littérature bibliographique adéquate et indispensable.

Tout le monde ici connait en bibliophile averti, le Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes d’Antoine-Alexandre Barbier (1765-1825), savant bibliothécaire et bibliographe. Cet ouvrage connut plusieurs éditions, depuis la première (forcément incomplète de 1806-1809 en 4 volumes in-8), la seconde de 1822-1827 (en partie posthume avec de larges additions), et finalement une troisième édition corrigée de 1872-1879, revue et augmentée par Olivier Barbier, René Billard) et dont il a été fait un supplément par Gustave Brunet en 1889. Il s’agit là de la meilleure édition de cette ouvrage et celle à laquelle il est préférable de se référer.

D’autres ouvrages bien connus également dans ce domaine de l’attribution d’un ouvrage à un auteur soit non désigné, soit masqué sous un pseudonyme soit masqué par des initiales ou des étoiles *** comme on le voit souvent.

C’est à Joseph-Marie Quérard (1797-1865) que nous devons l’ouvrage de référence : « Les supercheries littéraires dévoilées » publié en 5 volumes de 1845 à 1856. Il a donné dans le même domaine deux autres ouvrages : « Dictionnaire des ouvrages-polyonymes et anonymes de la littérature française, 1700-1850 » de 1846 à 1847 et un tome supplémentaire à « La France littéraire » intitulé « Écrivains pseudonymes, etc. » (1854-56). M. Quérard passait pour être le bibliographe le plus distingué de son temps. Les ouvrages de Quérard complètent et corrigent souvent le Dictionnaire des anonymes de Barbier. Les ouvrages seront finalement fondus ensemble en 1889 dans le Supplément donné par M. Brunet.

Ce sont là les ouvrages les plus consultés par les bibliophiles et les libraires, encore aujourd’hui malgré des erreurs d’attributions ponctuellement corrigées par des études universitaires précises qui viennent les contredire. Dans l’attribution d'un ouvrage à un auteur, l’erreur est toujours possible.

D’autres ouvrages, aujourd’hui relégués au rayon anecdotiana, se sont penchés sur le sujet, et il est toutefois toujours intéressant d’en connaître le titre et de les consulter à l’occasion : « Nouveau recueil d’ouvrages anonymes et pseudonymes, par M. de Manne » publié en 1834 (1 volume). M. Quérard a d’ailleurs publié des petites « Retouches » à ce dictionnaire en juillet 1862 (1 volume). Une nouvelle édition sera donnée en en 1868 du « Nouveau dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes » de M. de Manne – On trouve par ailleurs des ouvrages dont la portée et délibérément plus restreinte voire locale, avec par exemple un « Essai d'un dictionnaire des ouvrages anonymes & pseudonymes publiés en Belgique au XIXe siècle et principalement depuis 1830. » par Jules Victor Delecourt et publié en 1863 (1 volume) ; un « Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes du Dauphiné » par Edmond Maignien (1 volume publié en 1892) ; le « Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes publiés par des religieux de la Compagnie de Jésus depuis sa fondation jusqu’à nos jours » par Carlos Sommervogel (1 volume publié en 1884). Et il doit en exister quelques autres.


Il en existe au moins encore un, celui qui nous intéressera aujourd’hui, modeste volume in-12 mais véritable figure novatrice de la science bibliographique.

« Auteurs déguisés sous des noms étrangers, empruntés, supposés, feints à plaisir, chiffrés, renversés, retournés, ou changés d’une langue en une autre. »


Ouvrage publié anonymement (il fallait y penser…) à Paris chez Antoine Dezallier, rue Saint-Jacques, à la Couronne d’or, en 1690, avec privilège du roi.

Ce fort volume in-12 (17 x 9,5 cm) de 615 pages chiffrées est précédé d’un intéressant avis « au lecteur » de 6 pages que je vous donne ci-dessous en fac-similé.


On trouve également au début une ample table des chapitres des quatre parties qui composent l’ouvrage.


L’ouvrage a été achevé d’imprimer le 14 août 1690.

L’auteur de cet ouvrage très original et novateur est Adrien Baillet (1649-1706), théologien et homme de lettres remarqué de son époque.

Bien qu’ordonné prêtre en 1676, il ne se satisfait pas de cette condition et se rend à Paris où il trouve un poste de bibliothécaire auprès de l’avocat général Chrétien François de Lamoignon. Il lit énormément et acquiert un énorme savoir qui lui permet, outre l’établissement du catalogue de la bibliothèque de Lamoignon en 32 volumes, de produire d’intéressants ouvrages d’érudition. On lui doit des ouvrages aujourd’hui remarqués et recherchés des amateurs : Jugement des savants sur les principaux ouvrages des auteurs, 1685-86, 9 volumes - Des Enfants devenus célèbres par leurs études et par leurs écrits, 1688 - Des Satires personnelles, traité historique et critique de celles qui portent le titre d'Anti, 1689, 2 volumes - Auteurs déguisés sous des noms étrangers, empruntés, supposés, faits à plaisir, chiffrés, renversés, retournés ou changés d'une langue en une autre, 1690 - Histoire de la Hollande, depuis la trêve de 1600, où finit Grotius, jusqu'à notre temps,, 1690, 4 volumes - Vie de Descartes, 1691, 2 volumes - Vie de Richer, 1693. Son ouvrage Dévotion à la Vierge et le culte qui lui est dû, publié en 1694 est rapidement mis à l’index (il y met en doute les dogmes de l’immaculée conception et de l’assomption). Ses Vies des saints, composées sur ce qui nous est resté de plus authentique et de plus assuré dans leur histoire, publiées 1701 en 3 volumes subissent le même sort car il y rejette tous les miracles qui ne lui semblent pas avérés. Un homme de conviction donc ! Il meurt âgé de 57 ans.


Voici ce que nous dit Barbier à propos de cet ouvrage : « Ce n'était qu'un traité préliminaire qui devait être suivi du « Recueil des auteurs déguisés » ; malheureusement l'auteur mourut en 1706 sans l'avoir publié" (Barbier, I, 320).

Il s’agit donc bien du premier ouvrage publié en France sur ce genre de recherches bibliographiques. C’est l’ancêtre du Dictionnaire de Barbier. A la fin de l’ouvrage on trouve une liste de 1.636 entrées qui constitue le premier essai de « listing » des auteurs déguisés.


Tout au long de l’ouvrage, l’auteur cherche à montrer la fourberie des faussaires : « L’usage de changer son nom devenu trop fréquent dans les derniers temps ; cause et occasion d’une partie des abus qui s’y sont glissés » ; « la fourbe et l’imposture pour séduire les simples qui ne peuvent juger du fonds que par la surface et abuser la bonne foi des autres ».

Mais Baillet, outre le libertinage, l’impiété, la médisance (déjà les anciens aimaient beaucoup cela … cela flatte les ego tout en s’assurant la place que l’on croit devoir se donner …NDLR), l’envie, etc, n’oubliait pas d’aborder le cas de « La modestie dans ceux qui ne cherchent pas à paraître par leurs livres, qui se soucient peu de la gloire imaginaire qu’on peut acquérir par la plume ».


Cet ouvrage est donc un traité bibliographique fort intéressant et très complet, qui se lit plus comme un manuel « à l’usage de » que comme un véritable dictionnaire.

Vous pouvez télécharger l’ouvrage ci-dessous (fac-similé) :


AUTEURS DEGUISES par Adrien Baillet (1690)

Taille du fichier : 20 Mo (ADSL préférable).

En espérant vous avoir fait découvrir ou redécouvrir un ouvrage de documentation que l’on ne rencontre guère sur les étals des libraires, et pour cause… bien souvent ils le gardent précieusement sur leurs tablettes personnelles.

Amitiés, attribuables à...
Bertrand

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